C’est une toute petite phrase écrite sur le «LiveBlog» du journal Le Guardian qui a attiré mon attention et déclenché ce billet. Au début, je ne voulais pas écrire sur la saga actuelle qui concerne le scandale déclenché par la mise à jour du programme PRISM et les tribulations internationales du «lanceur d’alerte» Edward Snowdon. Mais cette phrase et les événements qui ont suivi m’ont forcé la main…
Ainsi, vous voyez, j’ai fait un rectangle rouge autour de la phrase ci-dessous. On y lit : «James Bamford, un journaliste spécialiste de sécurité nationale, a fourni l’an dernier le premier regard en profondeur sur le complexe géant d’entreposage de données de la NSA en construction à Bluffdale, Utah…».
On y est. J’ai fait la connection immédiate avec mes récents billets sur les entrepôts de données dont ce dernier sur le Québec, où je donne rapidement cet exemple avec la photo ci-dessous :
Mais je vous suggère de lire attentivement son article dans la magazine Wired. Il y va à fond et en détails sur non seulement ce centre d’entreposage de données et même les plans du complexe mais aussi sur la stratégie d’infonuagique de la NSA. Stratégie qui vient appuyer ce que j’appelle le «Spynet» ou système d’espionnage électro-numérique des USA.
Le reportage de Bamford est très complet et immensément instructif. Rares sont les journalistes qui ont pu écrire un papier avec autant d’impact. C’est cinq pages Web de texte qui nous font voir l’étendue des prétentions de la NSA en matière d’accumulation de données. Et bien sûr, la NSA les accumule pour ensuite les traiter et c’est là qu’est entré dans le décor l’analyste contractuel de Booz, Allen Hamilton, Edward Snowden.
Une guerre avec des armes d’accumulation massive
Il est venu mettre à jour ce que plusieurs soupçonnaient et ce dont je vous entretiens ici depuis longtemps, soit la guerre que se livrent les entreprises comme les États. Une guerre de données, et cela avec des armes d’accumulation massive. La fameuse Data War décrite par John McHugh dans un autre article dans la revue Wired (décidément). Ce que Snowden a mis en lumière c’est que la NSA, non seulement accumule et traite des données de son propre chef avec l’aide des principaux Telcos américains mais aussi qu’elle demande aux autres grands entreposeurs, i.e. Google, Microsoft, Amazon, Facebook, Apple et autres de les aider en leur fournissant certaines de LEURS PROPRES données !
Gouvernement, Telcos (ATT, Verizon, etc.) et Utilités technos, tous unis afin de regarder par-dessous votre épaule, sur ce que vous êtes en train d’écrire dans vos courriels, dans vos statuts Facebook, ce que vous textez où vous allez, ce que vous dites au téléphone et avec qui et surtout pour fouiller non pas dans vos poubelles mais vos données personnelles. Et ces fouilles n’ont pas de frontières comme les nuages, comme l’infonuagique…
Bienvenue Big Brother et ce n’est pas pour rien que 1984, cet ouvrage de Georges Orwell, connaît un regain de popularité ! De là aussi la popularité des sites qui permettent aux usagers de sécuriser leurs données ou de sécuriser leurs recherches sur Internet comme le soulignait récemment Danny Sullivan dans son analyse :«Look out, Google! Duck Duck Go is on the rise, posting a 50% traffic increase in just eight days. Is this proof people want a “private” search engine, in the wake of allegations the PRISM program allows the US government to read search data with unfettered access? ».
De là aussi la crainte de plus en plus répandue de l’infonuagique. Car comme le démontre le diagramme de la NSA, le centre de données en Utah va devenir, une fois opérationnel, le «nuage» de cet organisme. Et ce qu’il faut comprendre c’est que ce nuage, comme les vrais peut se fondre avec d’autres, privés ou non. Et je pourrais continuer ainsi pour des heures et vous dresser un portrait de plus en plus sombre de ce que nous réservent les nouvelles technos. Mais comme certains, moins nombreux qu’avant, je veux demeurer optimiste.
«Don’t be Evil» est la devise de Google. Mais comme le disait Serguey Brin dans une entrevue à Wired (Encore !!!) en 2011 : « Don’t be evil. Brin has had to refer back to those three words quite a bit over the past year. Governments, religious bodies, businesses, and individuals are all bearing down on the company, forcing Brin to make decisions that have an effect on the entire Internet. « Things that would normally be side issues for another company carry the weight of responsibility for us, » Brin says.»
Deux générations de lanceurs d’alerte
Comme je l’écrivais dans un de mes récents statuts Facebook, les révélations faites par Snowden sur le projet PRISM mettent en lumière une nouvelle génération de lanceurs d’alerte faites de jeunes idéalistes, souvent hackers, qui sont nés avec Internet et le Web et qui veulent partager des valeurs de transparence, en particulier en ce qui concerne l’État. On parle beaucoup de démocratie ouverte et depuis l’élection d’Obama, on a jamais tant parlé de l’ouverture 2.0 de l’administration américaine et des initiatives de données ouvertes. Force est d’admettre que la belle image a été mise à mal, non seulement par Snowdon mais par les sept autres qui ont été «neutralisés» par l’administration démocrate. Image mise à mal ailleurs en particulier par le mouvement des indignés qui, de plus en plus, refusent le «système».
Si vous consultez la liste dressée par The Guardian sur les «whistleblowers» de l’administration américaine depuis les années 60, en fait depuis Daniel Ellsberg et les fameux Pentagon Papers sur la guerre du Vietnam, vous verrez que ce dernier n’a pas fait de prison : «Ellsberg faced charges under the Espionage Act of 1917 and other charges including theft and conspiracy. (Ça ressemble drôlement aux accusations contre Snowden.) «The 1973 trial was dismissed due to the gross governmental misconduct and illegal evidence gathering». Presque tous et toutes à venir jusqu’à le récente administration Obama s’en sont tiré. Sauf pour ceux poursuivis par cette administration et en particulier les trois plus récents cas soit Aaron Swartz qui s’est suicidé en janvier, Bradley Manning et Edward Snowden. Et n’oubliez pas Julian Assange à l’ambassade de l’Équateur à Londres et qui justement a publié une lettre ouverte il y a quelques jours. Tous sont démonisés aux USA et présentés par la revue Time comme des «informateurs», autrement dit des espions.
En fait, regardez l’image ci-dessous. Elle dit tout. D’un côté la personne de l’année en 2002, soit trois femmes dont une du FBI glorifiées comme lanceurs d’alerte (Whistleblowers). À droite, la couverture du Time d’aujourd’hui 24 juin 2013. On parle maintenant d’informateurs et de hackers. Deux poids, deux mesures ?
En conclusion, dois-je demeurer optimiste sur notre société et où Internet en sera dans cinq ou dix ans ? Ou alors dois-je faire mienne le citation de Morpheus, tirée du premier film «La Matrice» : “The Matrix is a system, Neo. That system is our enemy. But when you’re inside, you look around, what do you see? Businessmen, teachers, lawyers, carpenters. The very minds of the people we are trying to save. But until we do, these people are still a part of that system and that makes them our enemy. You have to understand, most of these people are not ready to be unplugged. And many of them are so inured, so hopelessly dependent on the system, that they will fight to protect it.”
Bonne St-Jean, bonne fête nationale !
MISE À JOUR 1
J’ai écrit plus haut sur le gouvernement ouvert et en particulier sur l’Open Government Initiative, une belle idée de l’administration Obama. Eh bien, la NSA y est soumise comme les autres mais notez la petite subtilité sur le site de l’Agence.
MISE À JOUR 2
J’ai écrit une simple ligne plus haut sur la mort d’Aaron Swartz. C’est bien peu… Je vous incite à cliquer sur le lien que j’ai fait sur sa bio sur Wikipedia, encyclopédie à laquelle il a activement participé. Mais je tiens également à publier cette vidéo qui est un des nombreux services de mémoire qui ont suivi sa mort. Des services organisés à NY, Washington et San Francisco. À tous les endroits, des grands noms du Web sont venus témoigner tels que Sir Tim Berners-Lee. À San Francisco, Tim O’Reilly en a fait de même. Vous retrouverez son témoignage au minutage 52.27.
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